2ème partie : Le "Palais de la Méditerranée" à Nice
(du 15 Janvier au 16 février 1931)
A peine avait-il quitté la capitale que son retour était déjà annoncé pour le mois d’avril au cabaret l’Embassy, sur les Champs Élysées.
Extrait du journal Paris-Soir daté du 14 Janvier 1931 [1] (Gallica-BNF) |
A Nice, les deux quotidiens locaux : ‘‘Le Petit Niçois’’ et ‘‘L’Éclaireur de Nice’’ annoncèrent la venue de Carlos Gardel dès le 10 janvier 1931. Des affiches furent placardées sur les murs de la ville.
Carlos Picchio, m’a fait parvenir cette image représentant des affiches délavées où l’on peut reconstituer le texte suivant :
‘‘CARLOS GARDEL et ses Guitaristes, Palais de la Méditerranée, 15 janvier.’’
LE PALAIS DE LA MÉDITERRANÉE :
Ouvert en 1929, le Palais de la Méditerranée fut surnommé ‘‘Le plus grand casino du monde’’. Sa construction avait coûté près de 30 millions de francs de l’époque et employé 350 ouvriers. Il avait été financé par Frank Jay Gould, un américain qui avait investi sa fortune en France. Œuvre du cabinet d’architecture Dalmas qui s’était inspiré de l’Opéra de Paris, il était construit en béton armé dans le style ‘Art Déco’ de l’époque.
Au rez de chaussée, un vaste hall avec un immense escalier accueillait les visiteurs. Arrivé en haut des marches, le public pouvait accéder à un magnifique théâtre à l’italienne de 1000 places, ou bien, en empruntant les escaliers situés de chaque côté du hall d’entrée, monter à l’étage supérieur qui abritait le restaurant, la salle des fêtes, le salon de lecture et les salles de jeux du casino.
Le Palais de la Méditerranée (Carte postale oblitérée en 1931) |
1- Le grand escalier du hall d’entrée 2- Le théâtre |
3-La salle à manger et à droite, la salle des fêtes 4-La salle de baccarat |
(Photos 1 à 6 : Revue "Mobilier et Déco" du 1er Janvier 1931)
En 1990, le bâtiment fut démoli et seule la façade, classée in extremis "Monument historique" par le Ministre de la Culture, fut préservée. Le mobilier et les magnifiques verrières style ‘Art déco’ furent vendues aux enchères.
Les débuts de
Carlos Gardel
Le Jeudi 15 janvier 1931, c’est dans ce magnifique bâtiment que Carlos Gardel et ses guitaristes débutèrent leur saison sur la Côte d’Azur. La direction avait organisé en cette occasion un ‘Gala Sud-Américain’ avec un prix d’entrée de 100 francs par personne, une somme très coquette pour cette époque mais qui n’empêcha pas les Argentins présents sur la Côte d’Azur de venir en masse assister à la première représentation.
L’article publié le lendemain par le quotidien "Le Petit Niçois" était des plus élogieux :
C’est devant une élite cosmopolite où l’élément argentin était largement représenté que la grande vedette de « L’Empire », Carlos Gardel, a débuté hier soir, au cours du gala Sud-Américain.
Cet artiste incomparable pour qui l’art du chant dans ce qu’il a de plus subtil et de plus délicat n’a pas de secret, a tenu sous le charme de sa merveilleuse voix, la très élégante chambrée réunie dans la somptueuse salle des fêtes du restaurant.
Carlos Gardel ne chante pas seulement ses chansons ; il les vit avec une intensité de douceur, de finesse et de sensualité ; c’est comme une brise lointaine venue du fond de cette poétique Amérique Latine qu’à l’entendre on se sent voluptueusement caressé et bercé.
Carlos Gardel est non seulement un musicien et un grand chanteur, c’est aussi un poète et son succès formidable dépassa toutes les prévisions. C’est avec plaisir qu’on pourra l’entendre tous les jours au thé et au dîner…
Article du journal "Le Petit Niçois" du 16 janvier 1931 (©Archives départementales des Alpes Maritimes) |
L’article précisait ensuite :
« ...Remarqué dans l’élégante assistance : (dans la partie cerclée de rouge) M. et Mme Wakfield… » – Plus exactement : M. et Mme Wakefield.
Les époux Wakefield
The New York Times : Annonce du décès de Sadie Baron Wakefield, le 4 novembre 1942. |
On ne sait pas exactement à quelle date Gardel a rencontré pour la première fois les époux Wakefield. Certains auteurs avancent l’année 1929, lors de la première venue de Gardel sur la Côte d’Azur. Dans nos recherches nous n’avons pas trouvé de mention pouvant confirmer cette hypothèse. Le 15 janvier 1931 est pour le moment la seule date où l’on peut affirmer avec certitude que Carlos Gardel et les époux Wakefield étaient dans la même salle. De plus, le fait que les époux Wakefield soient les premiers cités dans" l’élégante assistance" montre qu’ils étaient au premier rang, et probablement à la table de Frank Jay Gould, le propriétaire du Palais de la Méditerranée.
Les époux Wakefield, qui avaient décidé de s’installer à Nice, avaient acheté le 14 décembre 1928 dans le quartier de Cimiez, une propriété de 4665 mètres carrés qui comprenait une villa d’habitation dénommée "L’Oiseau Bleu".[3] George P. Wakefield était un riche industriel américain, tandis que son épouse Sadie Baron Wakefield, d’origine anglaise, était la sœur de Sir Louis Baron, président de la société Carreras Ldt, fabricant de cigarettes connues sous la marque "Craven A". En 1940, Sadie Baron, dont l’état de santé s’était aggravé, revint en Amérique, fuyant la guerre et les mesures antisémites des autorités de Vichy. Elle est décédée le 2 novembre 1942 dans sa résidence d’été à Caldwell, comté de Warren dans l’état de New York. Son époux lui survécut et mourut le 5 mars 1947 à Monaco, à l’âge de 71 ans[4].
Nota : On remarque que Sadie Baron Wakefield avait été décorée par le Gouvernement Français pour ses actions philanthropiques.
Frank Jay et Florence Gould
Frank Jay Gould était un des six enfants de Jay Gould, un milliardaire américain propriétaire de compagnies de chemin de fer. En 1923, Il avait épousé en troisièmes noces Florence La Caze, une française née aux États Unis. Héritier à 15 ans du sixième de la fortune de son père, il avait choisi d’investir sa part d’héritage en France dans le domaine hippique, les casinos et l’hôtellerie. En 1910, à Maisons Laffite, près de Paris, il aménagea un immense domaine pour ses chevaux de courses. Puis à Granville, sur la côte normande, il fit ériger en 1912 le palace "Le Normandy" et un casino[5]. Il décida ensuite de s’installer à Juan-les-Pins, à une vingtaine de kilomètres de Nice, où il acheta la villa "La Vigie"[6], décorée par Picasso en 1924. En 1926, en face de sa maison il fit ériger un casino et "Le Provençal", un des plus grands palaces de la Côte d’Azur, par le même architecte et dans le même style ‘Art déco’ que le Palais de la Méditerranée. "Le Provençal" ouvrira ses portes le 10 janvier 1929[7] et fonctionnera jusqu’en 1980. Aujourd’hui, l’immeuble est en cours de réhabilitation. A Nice, en plus du Palais de la Méditerranée, Frank Jay Gould était propriétaire de l’hôtel Majestic[8].
On pouvait voir toutes les possessions de Frank Jay Gould sur la Côte d’Azur dans des publicités ciblant la clientèle américaine.
Les casinos et les hôtels de la Côte d’Azur appartenant à Frank Jay Gould sont tous réunis sur cette publicité (©Gallica-BNF) |
Les Wakefield et les Gould seront les personnes les plus importantes et les plus influentes que Carlos Gardel côtoiera pendant son séjour sur la Côte d’Azur .
Les spectacles du
Palais de la Méditerranée :
Le Palais de la Méditerranée proposait chaque jour des spectacles et des divertissements. Par exemple, le jeudi 15 janvier 1931 on pouvait assister :
- à 14 heures au théâtre, représentation de l’opéra de Giuseppe Verdi : "Ernani", avec le ténor F. Valentino de la Scala de Milan.
- à 17 heures : Thé dansant avec les orchestres Gregor[9] pour le jazz, et le chanteur Juan Raggi[10] et son orchestre de tango.
- de 20h à 21h30 – au théâtre : Grand Concert symphonique
- le soir : à la salle des fêtes : Grand Gala Sud-Américain, avec Carlos Gardel et ses guitaristes.
Programmation du jeudi 15 janvier 1931 du Palais de la Méditerranée. (© Archives départementales des Alpes Maritimes) |
Carlos Dante et Canaro à l’Embassy journal"L’Éclaireur de Nice" du 20 janvier 1931 (© Archives départementales des Alpes Maritimes) |
Programme du 17 janvier 1931 journal "L’Éclaireur de Nice" (© Archives départementales des Alpes Maritimes) |
Nice possédait plusieurs casinos qui rivalisaient de divertissements pour attirer la nombreuse clientèle qui séjournait sur la Côte d’Azur. "L’Embassy", le cabaret du casino municipal de Nice, présentait le 20 janvier 1931 le chanteur argentin Carlos Dante accompagné par l’orchestre de Rafael Canaro, un frère de Francisco Canaro, qui avait quitté Paris pour venir se produire à Nice.
Au même moment, Manuel Pizzaro se produisait au prestigieux "Hôtel de Paris" situé en face du casino de Monte Carlo, ainsi qu’au "Carlton", un cabaret qu’il dirigeait avec Paul Santo, dont on se souvient qu’il avait accueilli, en 1928 à Paris, Carlos Gardel au cabaret Florida.
(© Gallica – BNF) (© Archives départ. Alpes Maritimes) |
Journal "Les Échos" du 24 mai 1930 Faillite de la société Paul Santo et Co., ainsi que d’ Ange Paul Santolini (© Gallica-BNF) |
Paul Santo, propriétaire et gérant de plusieurs cabarets parisiens avait été déclaré en faillite le 24 mai 1930. Ruiné, il s’était associé à Manuel Pizarro en 1931 pour diriger le "Carlton", en Principauté de Monaco, en dehors du territoire français.
Carlos Gardel et Mistinguett allaient pour quelques jours partager l’affiche du "Plus grand casino du monde".
"L’Éclaireur de Nice" du 21 janvier 1931 (@ Archives départementales des Alpes Maritimes) |
Le jeudi 22 janvier 1931, Carlos Gardel se produisit au Casino Municipal de Juan-les-Pins, (à une vingtaine de kilomètres de Nice) pour un "Thé de Gala". Il répondait ainsi à un souhait de Frank Jay Gould, propriétaire de ce casino.
"L’Éclaireur de Nice" du 22 janvier 1931 (© Archives départementales des Alpes Maritimes) |
Le Casino de Juan les Pins vers 1930 |
L’Éclaireur du dimanche" du 2 février 1931 (©Archives départementales des Alpes Maritimes) |
L’hebdomadaire "L’Éclaireur du dimanche" du 2 février 1931 signale que Carlos Gardel était logé à l’hôtel Majestic[12] de Nice, (et non au "Negresco" comme certains ouvrages l’indiquent).
L’hôtel Majestic, construit entre 1906 et 1908 au bas de la colline de Cimiez, avec sa façade dans le style Art-Nouveau, était un des fleurons de l’hôtellerie niçoise. Il possédait 400 chambres et en plus de sa clientèle, il servait à loger les hôtes de Frank Jay Gould ainsi que les artistes qui se produisaient au Palais de la Méditerranée. Cela correspondait aux exigences de Frank Jay Gould, qui à chaque fois qu’il implantait un casino dans un lieu, faisait également construire un hôtel pour que ses clients puissent séjourner à proximité de son casino. En tant que propriétaire, Frank Jay Gould disposait d’un appartement privé à l’hôtel Majestic.
Aujourd’hui, le "Majestic", où Gardel séjourna en 1931, est devenu un immeuble d’habitation.
"L’Éclaireur de Nice" du 23 janvier 1931. Gardel à 17h au Thé (© Archives départementales des Alpes Maritimes) |
Après son passage, le 22 janvier 1931, au casino de Juan-les-Pins, Carlos Gardel revint chanter au Palais de la Méditerranée le vendredi 23 janvier au "Thé de 17h". Il ne chanta pas en soirée, probablement pour se réserver pour le lendemain où il partageait l’affiche avec Mistinguett.
"L'Éclaireur de Nice" du 24 janvier 1931 Gardel à 17h au Thé et à minuit 30, Grand Gala Mistinguett au Dîner (© Archives Départementales des Alpes Maritimes) |
Le dimanche 25 janvier 1931 le journal "Le Petit Niçois" fit paraître un long article sur Carlos Gardel avec une photo du grand artiste :
Article sur Gardel – journal "Le Petit Niçois" du 25 janvier 1931 (© Archives départementales des Alpes Maritimes) |
On pouvait lire :
CARLOS GARDEL
« Il était un homme qui aurait pu vous parler du tango argentin, c’est Gomez Carillo[13], l’hôte maintenant hélas ! pour toujours absent de la Nice qu’il aima tant et qui, vous en parlant, eût certainement dit avec un beaudelerisme espagnol de par-delà la Grande Mer, que tant de lieues et tant de lieues de flots ne dé-latinisent pas, ce que le tango chanté, apporté par Carlos Gardel, apporte lui-même de plus, et de bien plus, aux idéations pour lesquelles nous partons, en somme, de visions rythmiquement houlées sous le ciel électrique de nos fêtes d’une nuit. - dans quelques parcelles de nuit durant chacune quelques tours de piste parquetée, où se balance pour nous le rêve des musiques en flammes et des femmes en fleurs.
Dans ces chansons, Carlos Gardel n’est pas seulement l’admirable interprète et accompagnateur : il en est le plus souvent le compositeur. Quand on les connaît, lui et elles, cela ne saurait se concevoir autrement.
Que vous l’entendiez dans "El Carretero" (le charretier) ou dans son tango "Caminito"(petitchemin), ou dans "Esta noche me emborracho" (cette nuit, je me saoule), vous le sentirez alors, son chant a librement fleuri dans le vieux sang latin des jeunes Amériques du Sud. La spontanéité de cette floraison l’immacula, préservant le chanteur de toute banale recherche de ce qui dirige trop souvent les autres vers les moyens pratiques et imitables de la vogue utile.
Encore tout jeune élève à l’École Nationale de Buenos Ayres, Carlos Gardel chantait chez des amis, en comité privé.
Il fit ses débuts en public dans les provinces de l’Argentine, et le succès naquit sous ses pas. Prenant déjà l’habitude de faire lui même la plupart de ses chansons, jamais il ne lui arriva de s’égarer à des modes d’expression qui ne lui fussent pas intimement et foncièrement personnels. Aujourd’hui comme alors, chez nous comme dans son pays, telles qu’ il les ressent, il les dit.
Puis vint sa rencontre avec Pablo Podesta[14], qui le fait débuter au Théâtre de Buenos Ayres. La réussite se confirme pleine de promesses nouvelles, après ces premières réalisations significatives. Son art, son talent, sa personne intéressent au vif le public affiné de la capitale. De là, il saute, c’est le cas de le dire tant on s’empresse de l’engager, dans tous les théâtres de l’Argentine et de l’Uruguay.
Son succès, répétons le, est dû à la création du tango chanté ; mais si l’innovation, sa trouvaille, piquait les curiosités, celles ci seraient vivement tombées, pour peu qu’elles se fussent trouvées en présence d’un artiste ordinaire doublant le novateur – ce qui n’était point le cas.
Dès lors, la France a attiré Carlos Gardel.
Mais il fallait qu’il se trouvât quelqu’un ayant confiance dans l’étoile du jeune chanteur argentin.
Ce fut Paul Santo. A celui ci, nous autres de la Riviera niçoise, rendons en les premières grâces.
Voici donc Carlos Gardel à Paris. Au Théâtre Fémina. On l’écoute, il étonne et il charme, on l’applaudit. On revient l’entendre, on l’acclame. Surtout à Florida[15], bientôt, il remporte un succès qui se peut qualifier, en toute stricte et absolue certitude, de succès « sans précédent ». Pendant des soirs et des soirs , il fit craquer Tout-Paris à se départir de ses théâtres habituels pour courir là où était affiché le chanteur de tangos.
Puis ce fut l’Empire, la vaste scène des plus célèbres attractions mondiales. Et alors triomphe… impérial. Carlos était devenu l’empereur du tango chanté.
En France, il a pour ainsi dire amplifié son art. A ses chansons argentines, « El moro, Manos brujas, Barrio reo, Por el camino, Nunca màs, Le han visto con otra , Tengo miedo », il ajoute quelques chansons napolitaines[16], histoire de faire fusionner fraternellement sur notre terre le génie latin du Nouveau Monde avec celui de la Vieille Europe.
Et voilà maintenant Carlos Gardel à Nice. Au Palais de la Méditerranée, naturellement.
Je ne vous en dirai pas plus.
Peut être trouverez vous qu’il manque à ces notes quelque croquis pour ce portrait plus ou moins littératuré de Carlos Gardel.
Vous le verrez, vous l’entendrez.
Cela vaudra mieux que toute l’encre que j’y aurai mise.
Et quand, ensuite, quittant ce Palais de la Méditerranée, vous vous en irez le long de la mer et de la nuit, pensives toutes les deux parce qu’elles aussi auront entendu Carlos Gardel, comme vous serez loin de la piste parquetée de nos soirs, et cependant, plus près des flammes et des fleurs sur lesquelles, dans le vaste monde, vente la musique de l’éternel amour !
Il est rare qu’un journal consacre un si long article à un artiste, et si la biographie de Gardel semble assez fantaisiste, la description de son art et l’immense succès qu’il remporte en France sont tout à fait réels. L’auteur veut surtout montrer que le tango chanté par Gardel a une véritable valeur culturelle en comparaison au tango dansé sur les parquets des casinos de la Côte d’Azur.
Le lundi 26 janvier 1931, tout comme le lundi précédent, Gardel n’est pas à l’affiche.
Les représentations reprennent le mardi 27 janvier 1931. Gardel chante au " Thé de 17 heures" au Palais de la Méditerranée et en soirée au "Dîner de Gala" du Casino Municipal de Juan-les-Pins.
Journal "Le Petit Niçois" du 27 janvier 1931 (©Archives départementales des Alpes Maritimes) |
Le mercredi 28 janvier 1931, Gardel ne chante pas, il se prépare pour les festivités qui accompagnent un grand évènement niçois : l’inauguration de la Promenade des Anglais .
L’inauguration de
la Promenade des Anglais
La Promenade des Anglais, telle qu’on peut la voir de nos jours, avec deux chaussées séparées par un terre plein central, fut inaugurée le 29 janvier 1931 par deux Altesses Royales : le Duc de Connaught, fils de la Reine Victoria et oncle du Roi d’Angleterre Georges V, et la Duchesse de Vendôme, sœur du Roi des Belges Albert 1er et épouse d’Emmanuel d’Orléans. [17]
Inauguration de la Promenade des Anglais, le 29 janvier 1931 par le Duc de Connaught et la Duchesse de Vendôme. (Photo Agence Meurisse) |
En cette occasion le Palais de la Méditerranée est le centre d’importantes festivités. Le journal "L’Éclaireur de Nice" du jeudi 29 Janvier 1931 publie le texte suivant :
(© Archives départementales des Alpes Maritimes) |
La fin de l’annonce indique qu’à partir du Samedi 31 janvier, des clowns très célèbres : les frères Fratellini seront à l’affiche du Palais de la Méditerranée en remplacement de Carlos Gardel qui reviendra chanter une semaine supplémentaire en février.
Affiche des Frères Fratellini (1932) - (© Collection du Cirque d’Hiver de Paris) |
Thé et Dîner
de Gala au bénéfice du "Queen Victoria Memorial Hospital"
Les festivités du Palais de la Méditerranée commencèrent par le "Thé de Gala" de 17 heures, avec Mistinguett et sa troupe, et le quartet Adler Bradford. Puis vint la "Soirée de Gala" qui fut pour Carlos Gardel, la plus prestigieuse de toute sa carrière, si on se réfère aux reportages de la presse. Parmi ceux ci, je propose celui en anglais du "Menton and Monte Carlo News" .
Journal "Menton and Monte Carlo News" du 7 février 1931 (© Gallica-BNF)
Traduction :
un grand succès
"En raison d’appels inhabituels reçus dans nos locaux la semaine dernière, notre compte rendu de la fête du "Queen Victoria Memorial Hospital" du 29 janvier a du être différé.
On n’a probablement jamais vu, ce jour là, dans les salons du Palais de la Méditerranée, autant de monde présent au Thé et au Dîner de Gala, au profit de cette œuvre de charité. Les membres de la colonie anglophone sont venus de tous les endroits de la Côte d’Azur, et la Promenade des Anglais et les rues tout autour du Palais de la Méditerranée donnaient l’impression d’un énorme concours d’élégance automobile par la multitude des belles carrosseries présentes.
Félicitations et remerciements à Monsieur Baudouin, le directeur du Palais de la Méditerranée pour l’efficacité avec laquelle il a organisé la fête au profit de l’Hôpital et pour son attention particulière pour chaque détail. Monsieur Baudouin possède des dons de premier ordre en tant qu’organisateur de génie.
Ce fut lui en personne qui reçut le Duc de Connaught à son arrivée au Palais de la Méditerranée, après qu’il eut officiellement inauguré la Promenade des Anglais avec ses nouveaux aménagements. Son Altesse Royale était accompagnée de la Duchesse de Vendôme, et tous deux patronnaient la fête. Madame W. Downes-Shaw, directrice de l’Hôpital, rendit visite à leurs Altesses Royales dans leur loge, et les remercia de leur présence.
La comédie en trois actes « La pèlerine écossaise » de Sacha Guitry fut présentée au théâtre par une excellente compagnie, les deux rôles principaux étaient tenus par Madame Eva Francis du Théâtre des Arts, qui jouait Françoise, et par Monsieur Roger Monteaux, sociétaire de la Comédie Française, dans le rôle de Philippe.
A l’heure du Thé, Mistinguett a ravi tout le monde dans "Ça, c’est Paris[19]", avec la joyeuse compagnie de Earl Leslie, Ladd, Carenzio et sa troupe, pendant que le quartet Adler Bedford, Grégor et ses 17 Grégorians et Juan Raggi et ses gauchos furent chaudement applaudis pour leurs danses. Le dîner de gala fût extrêmement fréquenté. A la table du Duc de Connaught étaient présents la Duchesse de Vendôme, Monsieur Benedetti, Préfet, et son épouse, Monsieur Jean Médecin, Maire, et son épouse, Monsieur Louis Gassin, Président du Conseil Général et son épouse, Monsieur Edouard Baudouin, Conseiller général et son épouse, Le Général et Madame Frantz, l’Amiral Sir Victor et Lady Stanley, Lady Watson, Miss Watson, Lady Katherine Lambton, Lady Bing of Wimy, Lady Maud Baillie, Mr et Mme J. Wiseman Keohg, Colonel Roque, le Docteur de Lavis Trafford et son épouse, le Major Berkeley Levett, Mme Taunton, Mr Jean de Breteuil, le Colonel Fane, etc.
Le "Ballet des Highlanders" produit par Mr Charles Cefail et merveilleusement dansé par Mlle A. Ratteri, Mlle T. Alevandrowa, Mlle Sadoine (toutes premières danseuses de l’Opéra de Nice), de Mr Robert Lizet (Premier danseur de l’Opéra de Nice), et du groupe "Les artistes de la danse" de l’Opéra de Nice, fut un élément agréable du programme artistique."
***
Encadré de rouge : Monsieur Carlos Gardel , chanteur Sud-Américain, et ses guitaristes ont été mis à l’honneur par le choix de leurs chants, ainsi que le grand orchestre du Palais (de la Méditerranée) dirigé par le Maestro Mirane de l’Opéra Comique de Paris. Gregor et Raggi, avec leurs troupes respectives de danseurs furent une fois de plus applaudis.
Encadré de bleu : Le Colonel Sir Walter de Frece fut un excellent commissaire-priseur obtenant 245 livres sterling pour un portrait du Duc de Connaught peint par Mr T. Van Oss. L’heureux gagnant fut Monsieur Wakefield.
Parmi l’assemblée considérable des notables, étaient présents… etc... »
A côté de l’article et encadré de noir :Au Majestic : Mr et Mme Frank Jay Gould, accompagnés de Mademoiselle Lacaze[20] sont arrivés à l’Hôtel Majestic où il se sont installés dans leur appartement habituel –
On relevait, dans la liste des personnalités présentes à cette soirée, la présence des consuls d’Angleterre et des USA à Nice, du Prince Aga Kahn et son épouse la Bégum , de nombreux convives appartenant à la noblesse britannique, française, allemande, italienne, etc.. ainsi que des personnalités américaines et européennes de la finance, du commerce et de l’industrie.
Carlos Gardel ne pouvait rêver mieux que de se produire devant des Altesses Royales et toute une assemblée de nobles et de notables dans un lieu aussi prestigieux que le Palais de la Méditerranée. On comprend pourquoi, dans un entretien avec Julio de Caro, il lui avait conseillé de venir sur la Côte d’Azur, le seul endroit au monde où l’on pouvait côtoyer une concentration aussi importante de gens de la "Haute Société."
Journal "Le Petit Niçois" du 30 janvier 1931 Gardel au Thé et après Dîner. (© Archives départementales des Alpes Maritimes) |
Journal "L’Éclaireur de Nice" du 30 janvier 1931. (@ Archives départementales des Alpes Maritimes) |
Le Café de Paris – Monte Carlo (carte postale datée du 23 juillet 1932) |
4 février
1931 : Soirée de Gala à l’hôtel Majestic
Carlos Gardel et ses guitaristes prirent ensuite quelques jours de repos avant de se produire, le 4 février 1931, à l’hôtel Majestic. Gardel chanta au "Grand Dîner de Gala" qui portait le nom de "Trianon".
Au programme, un ballet intitulé « Les divertissements de Marie Antoinette », (En référence à la Reine Marie Antoinette qui aimait se retirer au Petit Trianon de Versailles), avec des artistes de l’Opéra de Nice et une cantatrice du Théâtre Royal de Belgique. Venaient ensuite Carlos Gardel et ses guitaristes, les sœurs Boyer et l’orchestre Galli (qui jouait habituellement au Casino de Juan-Les-Pins).
Parmi l’assistance on relevait les nom de Mr Benedetti, Préfet des Alpes Maritimes, et son épouse, et de Mr et Mme Frank Jay Gould, les propriétaires de l’hôtel.
Journal "L'Éclaireur de Nice" du 16 fevrier 1931. Dernière présentation de Gardel au Palais de la Méditerranée (©Archives Départementales des Alpes Maritimes) |
Carlos Gardel revint chanter au Palais de la Méditerranée au Dîner des Lundi 9 février 1931, Mardi 10 février, Mercredi 11 février et Jeudi 12 février, suivis duThé et du Dîner du vendredi 13 février, et enfin au Thé du samedi 14 Février.
Il fera ses adieux au Palais de la Méditerranée le lundi 16 février 1931, où il chantera "immédiatement après le spectacle".
Le départ du guitariste José Maria Aguilar
Les biographies de Gardel citent le renvoi précipité à Buenos Aires à bord du "Conte Rosso" du guitariste José Maria Aguilar, à la suite d’un désaccord avec Carlos Gardel.
Le CEMLA[27] donne le 13 février 1931 comme date d’arrivée à Buenos Aires de José Maria Aguilar, passager du Conte Rosso.
Mais cette date ne correspond pas avec les indications relevées dans la presse :
Durant cette période, le journal ‘La Vanguardia’ de Barcelone a publié les dates des escales du ‘Conte Rosso’ en direction de Buenos Aires.
Elles ont eu lieu les 16 janvier et 28 février 1931.
Escale du 16 janvier 1931 à Barcelone Escale du 28 février 1931 à Barcelone |
Le journal ‘Le yatch’ du 14 mars 1931 signale que l’escale de Villefranche-sur-mer du ‘Conte Rosso’ allant à Buenos Aires a eu lieu le 27 février 1931 (source Gallica-BNF) |
La date donnée par le CEMLA est erronée et on peut logiquement penser qu’Aguilar est arrivé à Buenos Aires le 13 mars 1931 au lieu du 13 février 1931.
Le précédent départ d’un navire de Villefranche-sur-mer vers Buenos Aires était celui du ‘Conte Verde’ qui a fait escale à Barcelone le 7 février 1931. On peut en déduire que le désaccord qui a motivé le renvoi de José Maria Aguilar s‘est produit entre les 2 escales soit entre le 7 et le 26 février 1931.
Le 17 février 1931, Carlos Gardel pouvait savourer sa victoire, il avait triomphé au Palais de la Méditerranée, "le plus grand casino du monde".
En se référant aux articles de presse, on comptabilise en tout 26 passages au Palais de la Méditerranée, suivis de 2 présentations au Casino de Juan-les-Pins, une soirée de Gala à l’hôtel Majestic de Nice, et pour terminer une intervention au Café de Paris à Monte-Carlo, soit en tout 30 tours de chant.
Carlos Gardel pouvait prendre quelques jours de repos et à son tour profiter de son séjour pour goûter aux charmes de la Côte d’Azur.
Georges GALOPA
Andolsheim, (France) , le 22 novembre 2022
[1] Ce journal paraissait la veille au soir, dans ce cas le 14 janvier 1931.
[2] Au ‘‘Palace’’, après "La Revue Argentine", Henri Varna prévoyait la chanteuse Cora Madou (Comœdia du 1er février 1931), mais c’est finalement la revue "Parade de femmes" avec Gardel en tête d’affiche qui fut programmée.
[3] Selon l’acte de vente de la propriété comprenant la villa "L’Oiseau Bleu" -Archives municipales de Nice.
[4] Informations sur les décès des époux Wakefield fournies par les Archives municipales de Nice.
[5] https://www.lemonde.fr/archives/article/1956/04/03/frank-jay-gould-milliardaire-americain-et-createur-de-juan-les-pins-est-mort_2257305_1819218.html
[6] http://villa-la-vigie.com/history/
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Frank_Jay_Gould, https://en.wikipedia.org/wiki/Frank_Jay_Gould
[8] Journal "The New York Hérald European Edition, du 6 décembre 1931
[9] https://www.youtube.com/watch?v=G41NO46oIU4
[10] https://www.youtube.com/watch?v=SBiSkS_TRzQ – Juan Raggi chante avec l’orchestre Bachicha (Deambrogio)
[11] Dans ses mémoires Krikor Kelikian de son vrai nom, s’est extasié du succès de Gardel devant une assemblée cosmopolite de rois, de princes, de tous les titres de noblesse et de grandes personnalités de l’époque.
[12] Ceci contredit que certaines biographies qui citent l’hôtel Negresco
[13] Écrivain guatemaltèque décédé en 1927, et qui vécut à Madrid et à Paris
https://fr.wikipedia.org/wiki/Enrique_G%C3%B3mez_Carrillo
[14] Pablo Podesta (1875-1923) acteur de théâtre de premier plan, mais aussi chanteur, acrobate, sculpteur et peintre.
[15] Au cabaret Florida, dirigé par Paul Santo, 20 rue de Clichy à Paris,
[16] Certaines biographies affirment qu’il a aussi chanté en français, ce que l’article ne confirme pas.
[17] http://www.nice.fr/fr/patrimoine-et-culture/la-promenade-des-anglais
[18] https://discovery.nationalarchives.gov.uk/details/c/F99382
[20] Mademoiselle Isabelle Lacaze était la sœur de Florence Lacaze, l’épouse de Frank Jay Gould.
[21] Mono : surnom donné par Gardel à Leguisamo
[22] Irenéo Leguisamo, grand ami de Gardel, était un jockey très célèbre en Argentine.
[23] D’après nos recherches Leguisamo est arrivé à Villefranche-sur-mer le 8 février 1931 à bord du "Duilio"
[24] Carlitos, diminutif affectueux de Carlos donné à Gardel par Leguisamo
[25] Il s’agit de Sadie Walkefield
[26] Il s’agit de la villa "l’Oiseau Bleu" à Cimiez.
[27] CEMLA : Centre d’Etudes Migratoires Latino Américaines ayant son siège à Buenos Aires.