Blog dedicado a la genealogía de Gardel, meticulosamente documentada por investigadores de Francia, especialmente M. Georges Galopa.

Novedades:
-
English French German Spain Italian Dutch Russian Portuguese Japanese Korean Arabic Chinese Simplified

Charles GARDES, le soldat qui n'existe pas

 Leer este artículo en español




e voudrais réagir à un article de Monsieur Ricardo Ostuni publié dans la revue Club de Tango N°9 du 9 mai 1994, où, sous le sous-titre "Marie Berthe Gardes, Su verdadera identitad", un paragraphe est consacré aux noms des soldats gravés sur le Monument aux Morts de la guerre de 14-18 situé à Toulouse au cimetière de Salonique.

 

L’article en question détaillait en premier l’acte de naissance de Marie Berthe Gardes, la mère de Charles Romuald Gardes, que Monsieur Juan Carballo, un chercheur uruguayen résidant à Bruxelles, lui avait envoyé après avoir consulté le registre d’État Civil de la ville de Toulouse. La suite de l’article dressait la liste des personnes inhumées dans le caveau de la famille Gardes au cimetière toulousain de Pierre Cabade, et continuait par la déclaration suivante :



Traduction : "Il est également intéressant de signaler qu’au Monument des enfants de Toulouse morts à la guerre de 1914, figurent parmi de nombreux autres noms, ceux de Julien, Armand, Léon, et Charles Gardes, avec l’indication des régiments auxquels ils appartenaient."

 

Effectivement, non loin du caveau de la famille Gardes se dresse le "Monument aux Morts de Salonique" où sont gravés en "lettres d’or" sur du marbre rose et par ordre alphabétique, les noms des 5211 habitants de Toulouse tombés pour la Patrie lors de la première guerre mondiale.





 

Comme l’indique l’article de Ricardo Ostuni, sur ce monument, on peut lire les noms de :

 

GARDEL Julien                               24 BC (24 ème Bataillon Chasseurs)

GARDES Armand                           57 RA (57ème Régiment d’Artillerie)

GARDES Léon                                 3   RZ (3ème Régiment de Zouaves)

 

Par contre, l’inscription "GARDES Charles" n’existe pas, comme le montre la photo suivante.




 

Il est curieux de constater que les noms et prénoms des soldats de patronyme "GARDES" ou "GARDEL", que Monsieur Ostuni cite dans son article, correspondent parfaitement à ceux qui sont gravés dans le marbre, à l’exception de Charles GARDES.

Cela signifie que dans cet article, on a rajouté volontairement à ces trois noms gravés sur le Monument aux morts un nom qui n’existe pas. Je laisse au lecteur le soin de se faire une opinion à ce sujet.

Après avoir fait ces "révélations ", cet article continue en ces termes :


"Il reste à rechercher, selon la thèse uruguayenne sur l’existence de deux personnes liées à Berthe Gardes, si le cité Charles Gardes inscrit sur le monument, n’est autre que Charles Romuald né à Toulouse le 11 décembre 1890. Ainsi, cela expliquerait sa disparition en Argentine, qui n’a jamais été dûment argumentée par les historiens uruguayens".

 

Si l’auteur émet prudemment une hypothèse en écrivant : « Cela expliquerait la disparition enArgentine... », il prend à son compte l’affirmation «  Charles Gardes, inscrit sur le monument », qui est absolument fausse. Comme on peut le constater, affirmer une chose sans vérifier ses sources peut conduire à une méprise, et malheureusement, à la diffusion de fausses nouvelles. Ce n’est donc pas cette "révélation" qui pourrait expliquer «  une disparition (de Charles Romuald Gardes) en Argentine, qui n’a jamais été dûment argumentée par les historiens uruguayens ».(sic) 

Et en conclusion, voilà ce qu’on peut lire :






"Finalement il convient de préciser que la marge gauche des actes de naissances est réservée pour y inscrire des mentions, et parmi elles, les mentions de décès. Autant sur l’acte N°280 de l’an 1890 correspondant à la naissance de Charles Romuald Gardes, comme sur l’acte 1282 de l’an 1865 se référant à celui de Berthe Gardes, les décès ne figurent pas. Il est donc légitime de supposer que pour le Registre de l’État Civil de Toulouse, Carlos et Charles sont, jusqu’à maintenant, deux personnes légalement distinctes".

 

Effectivement, Il n’y a aucune mention de décès sur les actes de naissance de Berthe Gardes et de son fils Charles Romuald. Encore une fois, avant de faire de "légitimes suppositions", il aurait été plus judicieux de s’informer sur ce que dit la loi française à ce sujet.

 

Le Code Civil français de 1812 impose au Maire d’une commune de rédiger un acte de décès pour toutes les personnes qui sont décédées sur le territoire de sa commune, sans exception.

Par exemple voici l’acte de décès d’Eduardo (Lorenzo) Arolas, le "Tigre du bandonéon", né à Buenos Aires le 25 février 1892,  établi par la mairie du 18 ème arrondissement de Paris, le 29 septembre 1924.


Acte de décès de Lorenzo Arolas (@Archives de Paris)










Autre exemple tragique, le 3 septembre 1879, deux plâtriers toulousains trouvent le cadavre d’un enfant au Pont des Demoiselles. Le docteur Vergnes délivre un certificat de vérification précisant qu’il s’agit d’un enfant mort-né de sexe masculin. Le décès est enregistré sous le N°2298,  avec comme indication maginale  "Inconnu" et dans le texte : «  fils de père et mère inconnus ».


Acte de décès d’un nouveau né abandonné  (@ Archives Municipales de Toulouse)


 


        

Le Code Civil de 1812, appelé aussi code Napoléon, et dont voici la première page consacrée aux actes de décès, précise dans quelles conditions un acte de  décès doit être rédigé, quelle personne en a la responsabilité, et tout ce que l’on doit indiquer dans l’acte. Le texte ne prévoit pas l’inscription de la mention du décès en marge de l’acte de naissance d’une personne.


                                Code Civil : articles concernant les Actes de décès (source : BNF-gallica)


En France, la mention du décès d’une personne sur son acte de naissance a été rendue obligatoire bien plus tard, par l’ordonnance du 29 mars 1945, publiée le lendemain 30 mars par le Journal Officiel de la République Française.

 Journal officiel de la République Française du 30 mars 1945 (Source : BNF-Gallica)


 


         
L’encadré en rouge indique : Ordonnance N°45-509 du 29 mars 1945 relative à la transcription de l’acte de décès sur l’acte de naissance du défunt (Page 1712)

 

Ordonnance du 29 mars 1945
(Source : BNF-Gallica)


 Texte de l’Ordonnance :  

    

EXPOSÉ DES MOTIFS



L’ordonnance ci-jointe réalise une réforme, maintes fois préconisée, tendant à prescrire la mention du décès en marge de l’acte de naissance de la personne décédée.

Au prix d’un léger surcroît de travail pour les employés des services de l’état civil, cette mesure, qui a recueilli l’entier assentiment du ministre de l’intérieur, permettra de mettre fin à de nombreux abus, notamment en matière d’usurpation d’état civil ou de fausses cartes de ravitaillement.



                                           ……………………… 


Article 1er – L’Article 79 du code civil est complété par un alinéa ainsi conçu :

« Il sera fait mention du décès en marge de l’acte de naissance de la personnes décédée »

Article 2 – La présente ordonnance sera publiée au Journal Officiel de la République française et exécutée comme loi.


Fait à Paris, le 29 mars 1945. 


 

L’ ordonnance qui prévoit d’indiquer en marge d’un acte de naissance la mention du décès de la personne est postérieure aux dates de décès de Carlos Gardel et de sa mère Berthe Gardes. 

Cela explique pourquoi il n’y a aucune mention de décès sur les actes de naissance de Marie Berthe Gardes et de son fils Charles Romuald. Si l’auteur de l’article avait fait appel au Consulat de France de Buenos Aires ou de Montevidéo, qui sont compétants dans ce domaine, une réponse claire aurait été apportée a ses "légitimes suppositions".

Pour aller jusqu’au bout de mon raisonnement, j’ai demandé au Consulat de France de Bogotá s’il était possible d’inscrire sur l’acte de naissance d’une personne née en France, la mention de son décès en Colombie. Je reçus la réponse suivante :



 
   


« Seuls les actes de l’état civil concernant des personnes de nationalité française peuvent être dressés par nos services . Suite à l’établissement d’un acte de décès, cette Ambassade envoie un avis de mention à la mairie qui détient l’acte de naissance du défunt, mais aucun avis de mention de décès ne peut être envoyé sans l’existence préalable d’un acte de décès français».


Du fait qu’en 1935, Carlos Gardel, qui était citoyen argentin depuis 1923, n’avait plus la nationalité française,  l’Ambassade de France à Bogotá ne pouvait pas établir un acte de décès français, condition obligatoire pour envoyer un avis de mention à l’État civil de Toulouse.

Ceci règle définitivement les "légitimes suppositions" qui ont été émises à ce sujet.

Mais, on ne peut pas citer le Monument aux Morts de Toulouse, sans évoquer deux parents de Carlos Gardel, morts au combat, et dont les noms sont gravés dans le marbre :

Le premier parent est Carlos Carichou, demi frère de Berthe Gardes et oncle de Carlos Gardel, dont le prénom a été gravé en français : Charles, et qui appartenait au 212ème RA (Régiment d’Artillerie).   




Le deuxième parent est Bruno Marie Alexandre Barrat, qui était le fils de Jean Claire Barrat, cousin de Berthe Gardes. C’est donc un petit cousin de Carlos Gardel. Son prénom n’est pas Henri, et son régiment est le 61ème BC (Bataillon de Chasseurs)  et non le 21ème. Nous avons la certitude qu’il s’agit de Bruno Marie Alexandre Barrat parce que sur le site officiel des morts français de la guerre de 14-18, il y a en tout 8 combattants de la Haute Garonne qui s’appellent Barrat, mais c’est le seul qui habitait à Toulouse. (On peut aussi consulter ce site officiel pour vérifier qu’il n’y a pas de CharlesRomuald Gardes, né le 11 décembre 1890, mort au combat)

































A Toulouse, Bruno Marie Barrat et Carlos Carichou habitaient à quelques centaines de mètres de distance, dans la rue Jean Suau pour la famille Barrat et la rue des Marchands pour la famille Carichou.


Plan de Toulouse avec la position des familles Barrat et Carichou (source Mappy)


 

Ces deux rues font partie de la paroisse catholique de la Daurade, dont la basilique possède un Monument aux morts de la Guerre de 1914-1918, où sont inscrits tous les noms des disparus de la paroisse. On y trouve les noms de B. Barrat  et C. Carichou . (Le B est l’initiale de Bruno et le C celle de Charles). 

Des points rouges signalent leur position sur la liste des noms.


Monument aux Morts de la Paroisse Notre Dame de la Daurade de Toulouse


  https://fr.wikipedia.org/wiki/Basilique_de_la_Daurade#/media/Fichier:Notre-Dame_de_de_la_Daurade_-_Monument_aux_morts_de_la_guerre_1914-1918_IM31100043.jpg

 

L’ existence de Bruno Marie Alexandre Barrat est particulièrement triste. Né en 1895, il épouse Marie Rose Boufil à Toulouse le 18 avril 1914. Leur fils, Jean René Barrat voit le jour le 19 juin de la même année.

La guerre éclate trois mois plus tard, le 2 septembre1914. Bruno Marie Alexandre Barrat fait partie de la classe 1915, et il rejoint le 14ème Régiment d’Infanterie, à Grenade, près de Toulouse, le 18 décembre 1914, pour y recevoir une instruction militaire avant de partir à la guerre.

Le 4 avril 1915, son épouse, Marie Rose Boufil, décède à l’âge de 19 ans. Bruno Marie Alexandre Barrat est affecté au 61ème Bataillon de Chasseurs à pied, une unité combattante qu’il rejoint le 16 mai 1915.

Il est tué trois semaines plus tard, le 4 juin 1915, dans les terribles combats de la bataille de l’Artois, dans le nord de la France. Il avait 20 ans, et son fils Jean René Barrat, que Carlos Gardel appellera plus tard "le roi de la pêche", devient orphelin de père et de mère à l’âge d’un an. Il sera élevé par ses grands parents.


Par une chance extraordinaire, le courrier que Bruno Marie Alexandre Barrat a échangé avec sa famille a été conservé. Voici le contenu de sa dernière lettre datée du 2 juin 1915 :

 

La Comté   le 2 juin 1915

    Cher Parent

J'ai reçu le colis contenant la gourde.  Cela me fait grand plaisir de le recevoir de vous savoir en bonne santé, moi j'en suis de même. Cher Parent ici il fait une chaleur étouffante  On ne peut pas y tenir, aussi la gourde a été la bienvenue, vous pouvez me croire et je ne peux que vous en remercier une deuxième fois. Cher parent je n'ai besoin de rien pour le moment je suis toujours en bonne santé et je vous en désire de même pour vous quatre. Vous donnerez le bonjour à tous les parents ainsi qu'aux voisins.

Votre fils qui vous remercie et qui vous embrasse bien fort.

B A 61ème bataillon de chasseurs à pied 8ème compagnie 8ème section 9ème escouade secteur 47.


                                                       Dernière Lettre de Bruno Marie Alexandre BARRAT (@Archives Municipales de Toulouse)


 

Au verso de sa lettre il avait écrit :  On part demain aux tranchées. Deux jours plus tard, Bruno Marie Alexandre Barrat était tué au combat.


                                  Verso de la dernière lettre de Bruno Marie Alexandre Barrat  (@Archives Municipales de Toulouse)


                                  

La loi du 25 octobre 1919 "relative à la commémoration et à la glorification des morts pour la France au cours de la grande guerre"marque le début d’une période qui verra l’édification de Monuments aux Morts dans toutes les communes de France à partir des années 1920. Celui de Toulouse a été édifié en 1923. On avait demandé à chaque commune d’inscrire « en lettres d’or » et par ordre alphabétique les noms de leurs habitants « Morts pour la France » durant ce conflit. Mais pour les familles en deuil, les veuves et les orphelins, ces lettres avaient surtout la couleur rouge du sang versé et le goût amer des larmes.

En conclusion, s’il est important d’apporter la preuve d’un grossier mensonge à propos d’une inscription sur un Monument au morts, c’est avant tout le procédé employé qu’il convient de dénoncer. Se livrer à de fausses affirmations sur un sujet aussi grave que la mort au combat de jeunes gens, d’époux, de pères de famille est une atteinte profonde au respect que nous leurs devons. J’espère que les auteurs prendront conscience de leurs actes, et réfléchiront avant de lancer de pareils mensonges, en pensant que pour chaque inscription d’un Monument aux morts, qu’il soit Français, Allemand, Argentin ou de toute autre nationalité, il y a des sacrifices et des souffrances endurées par les soldats et aussi les larmes de ceux qui les ont pleurés.

 

 


 

Georges GALOPA 

Andolsheim, le 20 mars 2021.