Blog dedicado a la genealogía de Gardel, meticulosamente documentada por investigadores de Francia, especialmente M. Georges Galopa.

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Carlos GARDEL à la lumière des lois françaises de son temps


Cet exposé explique pourquoi il changea de nationalité en 1920, vint en France en 1924, augmenta son âge réel, et "ignora" sa mère.


MOBILISATION des FRANÇAIS D’ARGENTINE
Le communiqué du Consulat de France du 17 Novembre 1915.




e 17 Novembre 1915, en pleine guerre mondiale, le Consul de France à Buenos Aires publiait un communiqué à l’intention des Français d’Argentine qui n’avaient pas reçu en août 1914 leur "ordre de marche" pour partir à la guerre. Dans la majorité des cas, il s’agissait de personnes qui avaient "oublié " de se signaler au Consulat de France pour régulariser leur situation militaire, et dont on avait perdu la trace.




Journal " Le Courrier de la Pampa " de Buenos-Aires – Communiqué du Consulat de France
  

Texte complet du communiqué d’Henri SAMALENS, 
Consul de France à Buenos Aires :

Aux termes d’une circulaire du Ministre de la Guerre, récemment communiquée par le Ministre des Affaires Étrangères aux Agents Diplomatiques et Consulaires, tous les omis (c’est à dire tous les individus Français d’après la loi Française, nés en France ou à l’étranger, non inscrits jusqu’à présent sur les tableaux du recensement en France), âgés de moins de 50 ans, devront être inscrits provisoirement sur les tableaux de la classe 1917 déjà recensés : ils seront incorporés immédiatement s’ils se trouvent en France : s’ils résident à l’étranger, ils seront signalés aux préfets et recevront un ordre d’appel auquel ils devront répondre immédiatement, à moins qu’après l’examen médical passé en présence de l’Agent Diplomatique ou Consulaire, ils n’aient été reconnus absolument impropres à tout service.

Précédemment les omis n’étaient inscrits que sur les tableaux de la classe recensée après la découverte de l’omission et n’étaient appelés qu’avec cette même classe.

En outre, un projet de loi déposé par le Gouvernement prévoit que les omis qui ne se seraient pas présentés seraient assimilés aux insoumis en temps de guerre.

La liste des omis, ouverte dès aujourd’hui par le Consulat sera établie :

1- sur la déclaration des intéressés, et en ce qui concerne les mineurs, sur la déclaration à laquelle sont tenus leurs parents ou tuteurs ;
2- d’office, d’après les registres de l’État-Civil et tous documents et renseignements.
                                  
Buenos Aires, le 17 Novembre 1915
Le Consul de France
H. SAMALENS.



1- COMMENTAIRES

Ce communiqué du Consul SAMALENS s’adressait aux Français d’Argentine "Omis", c’est à dire qui étaient inconnus des autorités militaires françaises. Ces Français, âgés de moins de 50 ans, et qui n’avaient jamais reçu de notification d’ordre militaire, devaient se faire inscrire sur une liste ouverte au Consulat de France de Buenos Aires. Leurs noms seraient ajoutés sur les tableaux de recensement de la classe 1917. Ils passeraient ensuite devant une commission médicale qui déciderait de leur embarquement vers la France, et de leur incorporation dans une unité de l’armée française.

Ce communiqué était la conséquence de la situation militaire du moment :

En 1915, les pertes françaises dans les offensives d’Artois et de Champagne atteignaient le chiffre exorbitant de 294 000 morts[1] . Cette année 1915 qui s’achève sera appelée "L’année de boue et de sang". La France a besoin de toutes ses forces vives dans la guerre contre l’Allemagne et veut donc enrôler tous les Français en âge de porter les armes qui vivent à l’étranger et qui n’ont pas été mobilisés. Avec un an d’avance, la classe 1917 est déjà recensée, ce que permettra à la France d’enrôler dans l’armée de nouvelles recrues dès le 6 janvier 1916 au lieu du mois d’octobre 1917.

En termes militaires, un "omis" est "une personne qui est sensée répondre à ses obligations militaires, mais qui n’a pas été recensée avec les autres personnes de sa tranche d’âge". De ce fait, elle n’est pas en règle, son nom ne figure pas dans un "Registre Matricule", et elle n’a pas de livret militaire.

En temps de paix, si une "omission" est découverte, le responsable est tenu de présenter des excuses écrites devant une commission[2]. Si ses excuses sont acceptées, il est incorporé dans la classe de l’année en cours, et part au service militaire après la décision d’une commission médicale. Si les excuses sont rejetées, et si la personne s’est rendue coupable d’une fraude pour échapper au service militaire, elle sera jugée par un tribunal qui prononcera une peine de prison pouvant aller jusqu’à un an.  Enfin, cette personne fera son service militaire dans un régiment disciplinaire, le plus souvent en Afrique du Nord[3].

En novembre 1915, le traitement réservé aux "omis" est différent : l’armée française a un besoin pressant de soldats, car en plus de l’ hémorragie humaine, de nombreux régiments sont épuisés de fatigue par une guerre à outrance. Tous les "omis" seront directement incorporés dans l’armée.

Ceci est assorti d’une grave menace pour ceux qui ne seraient pas inscrits sur la liste des ‘omis’ ouverte au Consulat. Un projet de loi déposé par le Gouvernement français prévoit que les ‘omis’ soient assimilés à des ‘insoumis en temps de guerre’. Dans ce cas la peine prévue en cas de condamnation peut atteindre de 2 à 5 ans de prison[4].


Télégramme de mobilisation envoyé à l’Ambassade de France à Buenos Aires 
le 1er Août 1914 (source  : Archives Diplomatiques françaises)
2-MOBILISATION DU 1er AOÛT 1914



Suite à une tension internationale grave, la France, qui fait partie des trois pays de la "TripleEntente" (Royaume Uni- France-Russie) ordonne le 1er août 1914 la Mobilisation Générale après la Russie.
Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France.



Un télégramme de mobilisation est envoyé de Paris le 1er août 1914 à 9h15 du soir à l’attention du « Ministre France B-aires » et arrive à destination à 6h40 du soir (heure locale). Il est réceptionné par la société "VIA MADEIRA" située calle San Martin, 333 et 337 à Buenos Aires.

Le texte en est le suivant : « Ordre Général de mobilisation décrété  - Premier jour Dimanche 2 août  - Prière avertir agents sous vos ordres pour publication journaux».




A Bahia Blanca, le 12 septembre 1914, "La Nueva Provincia" publie l’article suivant :
             

Article du Journal « La Nueva Provincia » de Bahia Blanca du 12 septembre 1914
(source : Archives Diplomatiques Françaises)
RÉSERVISTES FRANÇAIS   
Le Consulat de France de notre ville nous communique que les départs depuis Buenos Aires des mobilisés des classes 1893 à 1914 seront organisés à Buenos Aires de façon normale. En conséquence, les hommes appartenant à ces classes et habitant la circonscription consulaire de la province de Buenos Aires doivent immédiatement, sans autre information, se présenter au Consulat de France de la capitale, rue Solis N°147, pour y retirer leur permis pour embarquer et les résidents de Bahia Blanca et de ses environs doivent se présenter au Consulat de notre ville, rue Berrutti N°35, avec leur livret militaire ou tout autre document militaire.



La mobilisation en Argentine s’adresse aux Français (y compris les fils de Français) appartenant aux classes 1893 jusqu’à 1914, c’est à dire nés entre 1873 et 1894. L’ordre de Mobilisation Générale concerne tous les Français du monde entier âgés entre 20 et 40 ans. Cette guerre aboutira au bout de quatre années, à une véritable hécatombe de vies humaines qui aura en France, et dans les autres pays belligérants de lourdes conséquences.



3- RÉSULTATS DE LA MOBILISATION EN ARGENTINE

Après la guerre, un rapport sur la mobilisation en Argentine a été rédigé en 1919 par l’attaché militaire du Consulat de France à Buenos Aires. Ce document de 5 pages conservé aux Archives Diplomatiques Françaises donne des chiffres qui permettent d’ évaluer les résultats de cette mobilisation.


Extrait du rapport sur la mobilisation en Argentine par l’attaché
militaire du Consulat de France (
© Archives Diplomatiques Françaises)




Ce rapport commence ainsi :


"Les questions du recrutement dépendent des Consulats qui ont un bureau militaire ou une section de leurs archives à cette destination.
Pour se rendre compte du résultat de la mobilisation en Argentine, la Légation se préoccupa, vers la fin de 1918, d’adresser un questionnaire à chacun des 5 Consulats qui en dépendent. Trois seulement, en septembre 1919, avaient fourni une réponse détaillée. On ne connaîtra probablement jamais le chiffre exact des mobilisés, insoumis et réformés d’Argentine. On peut cependant fournir des chiffres probables et qui approchent vraisemblablement de la vérité"…...



Dans son rapport, l’attaché militaire livre les chiffres suivants concernant la mobilisation en Argentine :


Pour l’attaché militaire, le résultat de la mobilisation en Argentine est décevant, et notamment dans la Province de Buenos Aires et dans la Capitale, où il mentionne que les deux tiers des Français mobilisables échappent à l’administration des Consulats.

Pour connaître avec précision les résultats de la mobilisation dans toute l’Argentine, le Consulat de France a exploité les chiffres du 3ème recensement national argentin de 1914 :
On recensait cette année là dans toute l’Argentine près de 21000 Français qui étaient en âge de combattre. Si on évalue à 2800 le nombre de personnes qui auraient obtenu un sursis ou qui auraient été réformées pour des raisons médicales, on aurait dû avoir le chiffre approximatif de 18000 Français aptes à combattre et prêts à embarquer.

Le nombre de Français qui se sont réellement embarqués étant de 5800, le rapport conclut que 67 à 68 % des Français mobilisables sont restés en Argentine. La plupart de ces Français sont qualifiés de réfractaires, c’est à dire de personnes qui ont refusé d’obéir aux prescriptions de la loi de 1905 sur le recrutement militaire. Ce terme de réfractaire regroupe les ‘omis’, qui ne figurent sur aucun tableau de recensement militaire, et les ‘insoumis’, qui figurent sur les tableaux de recensement, mais qui, après avoir reçu un ‘ordre de route’ ont refusé de partir.



Dans ce rapport on trouve une mention concernant Pigüe, localité peuplée en majorité par des  Français de l’Aveyron :
 
Extrait du rapport sur la mobilisation à Pigüe (© Archives Diplomatiques Françaises)


A Pigüe, sur un total de 284 personnes recensées par le Consulat de France de Bahia Blanca, on compte 247 ‘insoumis’ soit un taux de 84 % d’insoumis, parmi lesquels figure le curé de la paroisse.
           


Le Vice Consul de Bahia Blanca souligne qu’en réalité le nombre de Français de Pigüe mobilisables serait de 2 à 3 fois supérieur à celui de 284 recensé par son Consulat.





Un de ces insoumis est Joseph TOURRET, né le 14 juillet 1890 à Lassouts dans l’Aveyron 

Feuillet Matricule de Joseph Paul Adolphe Émile TOURRET (© Archives Départementales de l’Aveyron )


Le cas de Joseph TOURRET est intéressant. En 1910, il habitait à Pigüe (partie cerclée en rouge), et était inscrit en France dans le Registre Matricule de l’année 1890 de la circonscription de Rodez, sous le numéro 659. Bien qu’il était ‘exempté’ en 1910 du service militaire pour ‘Faiblesse générale’, il n’a pas répondu au décret de mobilisation générale du 1er Août 1914, et il a été déclaré ‘insoumis’ le 16 août 1915 (partie cerclée en bleu). Mais, par chance, (ou peut être grâce à une complicité), l’ ‘ordre de route individuel’, c’est à dire le document militaire qui lui ordonnait de rejoindre son régiment en France ne lui est jamais parvenu. Pour cette faille de procédure, il a été replacé à sa situation antérieure ‘d’exempté’ le 21 octobre 1919.

En France, il ne faisait pas de doute que le Ministère de la Guerre s’était aperçu, au bout du délai 6 mois accordé aux Français résidant à l’étranger, que beaucoup d’entre eux n’avaient pas répondu à l’"ordre de route" faisant suite à la Mobilisation Générale du 1er Août 1914. Ceci était particulièrement évident en Argentine où le recensement national de 1914 fournissait des informations précises sur la population française du pays.

Parmi ces Français cités comme "réfractaires" dans le rapport sur la mobilisation en Argentine, le cas des "omis" posait un problème juridique :

Les "omis" n’étaient inscrits sur aucun tableau de recensement. Ils étaient ‘invisibles’ en quelque sorte et ne faisaient pas partie de l’armée. S’ils s’étaient rendus coupables de fraude, ils étaient jugés par un tribunal civil en application de l’article 16 de la loi militaire du 23 mars 1905.
Il était donc impossible de leur remettre un "ordre de route" en main propre, et donc, comme nous l’avons vu dans le cas de Joseph TOURRET, un tribunal militaire ne pouvait pas les condamner pour insoumission. Par contre, si on les "assimilait à des insoumis en temps de guerre",  un tribunal miltaire pouvait les condamner à des peines de 2 à 5 ans de prison, s’ils revenaient en France.

Le communiqué du Consul de France, Henri SAMALENS, est donc une conséquence logique de cet état de fait, aggravé par les énormes pertes françaises de 1915.

Comme on ne sait rien des ‘omis’ : ni leur nom, ni leur nombre, le Consulat de France prévient qu’il utilisera tous les moyens possibles pour remplir la liste des "omis"ouverte au Consulat. Même si les gens ne viennent pas s’inscrire, on les inscrira d’office en fonction des documents dont on dispose, comme par exemple les registres d’État civil ou même par des "renseignements".


3- CAS DE CHARLES ROMUALD GARDES (CARLOS GARDEL)

Carlos GARDEL, dont le nom d’État Civil était Charles Romuald GARDES, était directement visé par le communiqué du 17 Novembre 1915, car il faisait partie des Français ‘omis’ des tableaux du recensement militaire.
En France, les maires devaient dresser ces tableaux selon les registres des naissances de l’État Civil de leur commune, en y inscrivant tous les jeunes gens qui avaient eu 20 ans l’année précédente.  Ensuite, les tableaux du recensement militaire étaient envoyés au préfet du département qui établissait un "Registre Matricule". A l’étranger, ce sont les Consulats qui remplissaient cette tâche pour les fils de Français nés dans le pays, (car la France considérait qu’ils gardaient la nationalité de leurs parents, alors que l’Argentine les considéraient comme Argentins), et aussi pour les Français établis dans le pays qui devaient se déclarer.

Article 13 de la Loi du 23 mars 1905 sur le recrutement de l’armée 
(Journal Officiel de la République Française) – source Gallica-BNF

Si Charles Romuald GARDES n’a pas été inscrit en 1910 sur les tableaux de recensement du canton nord de Toulouse, la ville où il est né, ni dans aucun autre canton français, c’est parce qu’il a bénéficié d’une disposition particulière de la "Loi sur le recrutement de l’armée" du 23 mars 1905 concernant la "domiciliation".

L’article 13 de cette loi qui est reproduit ci-après dans son intégralité définit le domicile qui doit être pris en compte pour inscrire une personne sur les tableaux de recensement d’un canton. Il comporte 5 alinéas :

L’article 13 est ainsi rédigé :

Article 13 : Sont légalement domiciliés dans le canton

L’ alinéa 1 définit le domicile de la manière suivante :

1° les jeunes gens, même émancipés, engagés, établis au dehors, expatriés, absents ou en état d’emprisonnement, si d’ailleurs leur père ou, en cas de décès ou de déchéance de la puissance paternelle du père, leur mère ou leur tuteur est domicilié dans une des communes du canton, ou si leur père, expatrié, avait son domicile dans une desdites communes. 

Les alinéas 2 et 3 s’adressent aux jeunes gens mariés.
L’alinéa 4 concerne les orphelins qui n’ont ni père, ni mère, ni tuteur.
L’alinéa 5 concerne le jeunes gens du canton qui ne font pas partie des cas précédents.

Charles Romuald GARDES était né de père inconnu, sa mère était expatriée avec lui en Argentine.
Il n’est pas concerné par l’alinéa 1 de la loi qui précise que dans le cas d’une expatriation des parents, seul le domicile que le père avait autrefois en France sera pris en compte. Dans le cas d’un enfant naturel, la loi de 1905 n’accordait pas à la mère les mêmes droits qu’au père. C’est à ce genre de détail qu’on voit que la société de l’époque avait des accents misogynes.

En application du 5ème alinéa de l’article 13 de la loi de 1905, c’est dans le "canton où il résidait", c’est à dire à Buenos Aires, que Charles Romuald GARDES devait être domicilié.
 C’est ensuite le Consulat qui informait par voie diplomatique dans quel canton français il devait être inscrit sur les tableaux de recensement (En général, celui correspondant à son lieu de naissance). Comme aucune démarche de signalisation au Consulat de France n’avait été faite, ni par l’intéressé, ni par sa mère, et que le Consulat n’avait pas connaissance de sa présence en Argentine, Charles Romuald GARDES faisait partie de la catégorie des ‘omis’ que le Consul voulait inscrire, en novembre 1917, sur la liste ouverte au Consulat de France.


Une recherche entreprise en 2004 auprès du Service Historique de l’Armée de Terre qui appartient au Ministère Français de la Défense, confirme l’absence de Charles Romuald GARDES des tableaux de recensement français .

La réponse est claire :  " Le Service historique de l’armée de terre ne détient aucun élément permettant d’apporter des précisions quand à la situation de Monsieur Charles Romuald GARDES vis à vis du service militaire".


Réponse du Ministère de la Défense  ( document : Georges GALOPA)





Ainsi, Charles Romuald GARDES n’a jamais fait partie de l’Armée française et n’a jamais été condamné pour insoumission. Comme les deux tiers des Français d’Argentine, il n’est pas allé à la guerre, et ne s’est pas fait connaître des services du Consulat de France lors de la première guerre mondiale. Son attitude est en contradiction avec l’article 1 de la loi du 23 mars 1905 qui dit :  « Tout Français doit le service militaire personnel ».

A trois reprises, il s’est soustrait  à ses obligations militaires, qui étaient  :

1- Se signaler en 1910 au Consulat de France pour être inscrit sur les tableaux de recensement.
2-Répondre à l’ordre de mobilisation du 1er août 1914.
3-Se faire inscrire sur la liste des ‘omis’ suite au communiqué du Consul SAMALENS du 17 novembre 1915.

Sa situation d’"omis", sans possession d’un livret militaire, le mettait en situation d’illégalité.

Tant qu’il restait sur le territoire argentin, il ne risquait aucune sanction, mais s’il devait voyager à l’extérieur du pays cela devenait plus périlleux en raison des risques encourus si, pour une quelconque raison, il mettait le pied en France ou sur un territoire administré par la France.
On comprend alors qu’il ait pris la nationalité Argentine et qu’il ait adopté un nom d’artiste : Carlos GARDEL, pour éviter d’être poursuivi en territoire français. Mais il avait d’autres écueils à éviter.


4- RISQUES ENCOURUS EN CAS D’INSOUMISSION

A la différence de Carlos GARDEL, son ami d’enfance Cyrille Stephen CAPOT, était inscrit sur les tableaux de recensement du canton de Nérac, sa ville natale. Comme Charles Romuald GARDES, il ne s’est jamais acquitté de ses devoirs militaires. Son feuillet matricule a été établi, mais il ne mentionne aucun « état de service militaire », seulement des condamnations pour insoumission.

 
Feuillet Matricule N° 814 de Cyrille Stephen CAPOT (© Archives Départementales du Lot et Garonne)

 
   
Nota :
1-Le feuillet matricule de Cyrille Stephen CAPOT qui est présenté ci-dessus a été publié dans un article consacré la famille CAPOT.

2-C’est la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement de l’armée qui s’appliquait à  Cyrille Stephen CAPOT . Né en 1882, il appartenait à la classe 1902. Cependant, le mode de recrutement était identique à celui de la loi suivante du 23 mars 1905 qui s’appliquait à Charles Romuald GARDES (classe 1910).

Indications et commentaires du Feuillet Matricule de Cyrille Stephen CAPOT :

1-Dans la rubrique : DÉCISION DU CONSEIL DE RÉVISION et MOTIFS, Cyrille Stephen CAPOT a été inscrit sous le numéro 30 de la liste du canton de Nérac.  (partie cerclée en vert).

2-Dans la partie ÉTAT CIVIL (partie cerclée en rouge) il est indiqué qu’il réside en Amérique avec ses parents, Isidore CAPOT et Marie DUCASSE.
La mairie de Nérac a obtenu l’information que Cyrille Stephen CAPOT et ses parents étaient partis en Amérique. Cette information, issue d’une source fiable, a permis son inscription sur le tableau de recensement de la classe 1902 de Nérac. Il y a cependant une indication erronée : Isidore Capot, le père de Cyrille Stephen CAPOT n’est pas parti en Argentine, il est décédé le 24 novembre 1889 à Agen.

3-Dans la partie DÉTAIL DES SERVICES ET MUTATIONS DIVERSES où normalement figurent ses états de services militaires, on lit :

"A été convoqué pour se présenter au recrutement le 1er décembre 1903
  A été déclaré insoumis le 2 juin 1904.

 Le signalement N°1 a été adressé au Préfet et à la Gendarmerie du Lot et Garonne, préfet de Police et Procureur de la République à Nérac, au Ministre de la Guerre et  Ministre de l’Intérieur.

Le 2 juin 1904, inscrit sur les tableaux de recensement de la classe 1902, n’a pas rejoint son corps d’affectation. A fait l’objet d’un ordre de route le convoquant au bureau de recrutement le 1er Octobre 1903.

Réintégré à l’effectif et affecté au 7ème Régiment d’Infanterie - déclaré à nouveau insoumis le 4 décembre 1908.

 Rayé de l’insoumission (présomption sur son âge de 52 ans le 24 janvier 1935)."


Le déroulement des faits de façon chronologique est le suivant  :

Cyrille Stephen CAPOT a eu vingt ans en 1902.
Il habite avec ses parents en Amérique. En conséquence, son nom est inscrit en janvier 1903 sur les tableaux de recensement de la classe 1902 du canton de Nérac, en 30ème position.
Il ne se signale pas au Consulat de France et il est déclaré d’office "bon pour le service militaire".
Le 1er Octobre 1903, un ordre de route le convoque au bureau de recrutement.
Le 1er décembre 1903, il ne se présente pas à la convocation.
Le 2 juin 1904, le délai de 6 mois étant écoulé, il est déclaré "insoumis".
Il est recherché pour insoumission et son signalement est diffusé aux autorités françaises: la Police, la Gendarmerie, le Ministère de la Guerre et le Ministère de l’Intérieur.

Après la service militaire actif, la classe 1902 passe dans la réserve de l’armée.
Cyrille Stephen CAPOT est convoqué à nouveau pour participer à des périodes d’exercices.
Il est réintégré au 7ème Régiment d’Infanterie, mais ne se rend pas à la convocation.
Il est donc déclaré "insoumis" une seconde fois le 4 décembre 1908.

Il restera insoumis jusqu’à l’âge de 52 ans.
En 1935, son insoumission est levée, et il ne risque plus de poursuites.

Nota : On ne relève aucune mention concernant une insoumission de Cyrille Stephen CAPOT lors de la mobilisation générale du 1er Août 1914, ce qui semble indiquer qu’à cette date, le Consulat de France n’avait pas retrouvé sa trace.

Le même qualificatif d’"insoumis" attendait Charles Romuald GARDES qui était "omis" des tableaux de recensement, et qui n’avait pas répondu au communiqué du consul de France du 17 novembre 1915.

Comme Cyrille Stephen CAPOT, Carlos GARDEL, de son vrai nom Charles Romuald GARDES, aurait normalement dû attendre d’avoir 52 ans (soit jusqu’en 1943) pour qu’il y ait prescription de l’insoumission et qu’il puisse retourner en France sans être inquiété. Pour contourner ce problème, il a donc pris la décision de se faire naturaliser Argentin.

Cependant, il y avait un texte de loi qu’il ne fallait pas négliger : celui de la loi française du 27 juin 1889.


5 -LA LOI DU 27 JUIN 1889 SUR LA NATIONALITÉ FRANÇAISE

La loi du 27 juin 1889 comportait un article qui s’appliquait à des Français qui se faisaient naturaliser dans un autre pays pour ne pas faire le service militaire en France.

 Dans son ouvrage "La Nationalité au point de vue des rapports internationaux ", paru en 1890, George COGORDAN, docteur en droit et ministre plénipotentiaire français indique que la France pose de sévères conditions à ces agissements.

La nationalité au point de vue des rapports internationaux"de George COGORDAN (source BNF-Gallica)




"La nationalité au point de vue des rapports internationaux" : extrait de la page 262 (source BNF-Gallica)





En page 262 de cet ouvrage on peut lire :




La loi de 1889 ajoute un élément nouveau : à l’avenir la dénationalisation n’est plus acquise au Français qui, soumis au service de l’armée active obtient une naturalisation étrangère sans avoir obtenu l’autorisation du Gouvernement français.





Cette loi sur la nationalité promulguée le 27 juin 1889 par le Président de la République Française, Sadi CARNOT, fut publiée le lendemain par le journal Officiel de la République Française.


Journal Officiel du 28 juin 1889 Publication de la loi sur la nationalité. 
(source BNF-Gallica)

Article 17 de la loi du 27 juin 1889 sur la nationalisation -
Journal Officiel de la République Française du 28 juin 1889 (source BNF-Gallica)


L’article 17 de cette loi précisait :

«  Perdent la qualité de Français :
Le Français naturalisé à l’étranger ou celui qui acquiert sur sa demande la nationalité étrangère par effet de la loi.

« s’il est encore soumis aux obligations du service militaire pour l’armée active, la naturalisation à l’étranger ne fera perdre la qualité de Français que si elle a été autorisée par le gouvernement français ; …. »


D’après l’ article 17 : 
Si un Français, après s’être fait naturaliser dans un pays étranger sans avoir obtenu l’accord du gouvernement Français, rentre en France et que l’on constate que sa naturalisation a eu lieu pendant qu’il devait faire son service militaire en France, il est arrêté et soupçonné d’avoir voulu échapper à ses obligations militaires, et on considère qu’il est toujours Français. George COGORDAN précise dans son ouvrage que cette situation a provoqué des dissensions avec les États Unis d’Amérique.

Il y a eu aussi des problèmes avec l’Argentine, car des fils de Français nés en Argentine et qui avaient servi dans l’armée ou la marine argentine, ont étés arrêtés lors de leur venue en France en application de cette loi[5].

Selon l’article 12 de la loi militaire du 23 mars 1905, en temps de paix, un "omis" qui est découvert est intégré au service militaire actif jusqu’à l’âge maximum de 27 ans. Par conséquent, si Charles Romuald GARDES, sans avoir demandé une autorisation auprès du Consulat de France, s’était fait naturaliser argentin entre 20 et 27 ans (soit entre 1910 et 1917), en application de la loi du 27 juin 1889, la France aurait considéré qu’il avait toujours la nationalité française, et s’il revenait en France, il aurait été arrêté et jugé pour insoumission, malgré sa nouvelle nationalité. Il fallait encore attendre 3 ans, soit l’âge de 30 ans pour qu’il y ait prescription du délit d’insoumission, comme l’indique Georges COGORDAN en page 262 de son livre.

Extrait de la page 262 du livre  "La nationalité dans les rapports internationaux" de George Codorgan –  Prescription de 3 ans (source BNF-Gallica)




































Il était donc prudent pour Charles Romuald GARDES d’attendre 3 ans de plus, c’est à dire jusqu’en 1920 avant de changer de nationalité "sans autorisation du gouvernement Français".


La loi française qui succédait à celle du 27 juin 1889 sur la nationalité fut promulguée le 10 août 1927. Elle était encore plus contraignante en portant à 10 ans le délai de prescription.


6 – LE SENTIMENT GÉNÉRAL SUR LES FRANÇAIS QUI N’ONT PAS COMBATTU.

Face aux terribles pertes humaines et aux sacrifices endurés par les soldats dont les récits de guerre  décrivaient de véritables horreurs, les "mauvais français", qui n’étaient pas allé combattre, n’étaient pas très estimés en France. Les anciens combattants, qui avaient à l’époque beaucoup d’influence, ne les ménageaient pas. On peut s’en rendre compte par leur organe de presse : « La voix du combattant » du 12 décembre 1925 qui s’en prend violemment aux « insoumis d’Argentine » dans l’article suivant :

Ceux qui ont su prendre
« Les combattants qui ont pu mesurer les dangers affrontés au cours de la guerre et les souffrances endurées, peuvent à la rigueur faire preuve, mieux que quiconque d’indulgence, à défaut d’estime, à l’égard des insoumis et quelque mépris dans lequel ils puissent tenir ceux qui ont failli ainsi à l’honneur. Mais il est une chose qu’assurément aucun de nous ne peut pardonner, c’est que ces insoumis soient des profiteurs de guerre. 
Or, c’est le cas pour les insoumis d’Argentine qui, peu soucieux de répondre à l’appel de la patrie en danger, ont préféré gagner des piastres à Buenos Aires et autres lieux pendant que les petits copains se faisaient casser la gueule.
Et pourtant la dernière assemblée générale extraordinaire de notre section d’Argentine nous apprend qu’il s’est trouvé un ancien combattant, mieux un ancien officier d’active pour défendre les chacals d’Argentine.
La discussion est venue à l’occasion de savoir si cette triste catégorie d’individus avait le droit de faire partie du Conseil des Sociétés Françaises.
Comment ose-t-on seulement poser la question ? Et ces millionnaires deux fois responsables n’ont ils point la pudeur de s’effacer modestement, de tâcher de faire oublier leur félonie ?
Nous avons trop souffert pour tolérer que la trahison dorée ne vienne encore insulter à nos misères ».



"LA VOIX DU COMBATTANT" du 12 Décembre 1925 (Source : BNF-Gallica)


























Face à un tel déferlement d’animosité, il était préférable pour Carlos GARDEL, d’être extrêmement attentif à ces mouvements d’opinion très défavorables envers les Français d’Argentine qui n’étaient pas allés à la guerre. La décision de se déclarer natif d’un autre pays que le sien a certainement tenu compte de ce fait qui pouvait ruiner sa carrière artistique en France.

En résumé, on comprend très bien que Carlos GARDEL ait attendu l’année 1924 et l’âge de 33 ans révolus, pour aller à Toulouse voir sa famille. S’il avait voyagé 4 ans plus tôt, et que l’on avait découvert sa vraie identité, on aurait considéré qu’il avait toujours la nationalité française. 


Cela explique aussi qu’il se soit vieilli de trois ans , car on aurait pu lui reprocher qu’il n’avait pas atteint l’âge de 33 ans au moment de changer de nationalité (son certificat de citoyenneté argentine était daté du 8 octobre 1923, alors qu’il aurait eu 33 ans en décembre de la même année), et encore plus,  dans le cas où il aurait obtenu ses papiers plus tôt et qu’il aurait voulu voyager en France avant 1924. (S’il avait déclaré son âge réel, sa situation militaire devenait inquiétante dans un cas comme dans l’autre, car il ne possédait aucun papier militaire français pour se justifier).


Comme beaucoup de Français d’Argentine de son âge, il ne s’était pas signalé en 1910 au Consulat de France pour être inscrit sur les tableaux de recensement militaire. Il n’avait pas réagi lors de la Mobilisation Générale du 1er août 1914, ni au communiqué du Consulat de France du 17 Novembre 1917 qui le concernait directement, car il faisait bien partie des français nés entre 1873 et 1894. Pour ces raisons, en plus de modifier son propre Etat Civil, il lui fallait aussi changer celui de sa mère.


Pour venir en France, il fallait ruser avec beaucoup d’habileté pour échapper aux poursuites. Alors, pour ne pas être inquiété, Carlos GARDEL avait d’abord modifié son nom, puis adopté la nationalité Argentine en étant très attentif aux dispositions de la loi française du 27 juin 1889 sur la nationalité, et en tenant compte des mouvements d’opinion en France qui étaient très hostiles envers les Français qui n’avaient pas participé à la première guerre mondiale.

           

                                                                      Georges GALOPA, avec la collaboration d’ Ana TURÓN.
Andolsheim, Le 16 septembre 2020.





[1]     La guerre à tombeau ouvert : https://www.lexpress.fr/actualite/societe/l-annee-1915-la-guerre-a-tombeau-ouvert_1638576.html
[2]     Article 16 de la Loi du 23 mars 1905.
[3]     Articles 16, 79 et 80 de la Loi du 23 mars 1905.
[4]     Code de justice militaire pour l’armée de terre du 10 novembre 1920, page 123.
[5]     Article du Journal « Le populaire » du 15 mars 1939,  « Journal du droit International » d’Édouard CLUNET de 1920, page 114